Mélanie Demers
Spectacle danse/théâtre Cabaret noir 2023
Texte de Maurice Demers
Dans son texte pour le CNA sur ce spectacle « happening et plaidoyer » , elle affirme fièrement : « Je suis une bâtarde! Petite, je vivais dans un quartier mal famé. Quelque part entre le zoo et la prison de Québec. Il faut croire que les cages m’ont inspiré un désir de liberté. J’adorais aller sur le parking du Jardin zoologique et nourrir les goélands avec du pain blanc. En mode bonheur modeste. Mère et fille, seules, ensemble et soudées. Nous étions à jamais ma menotte dans sa main. Elle, blonde aux yeux bleus. Moi, noire aux yeux noirs. Quand les salauds du coin me traitaient de crisse de négresse, ma mère me rappelait que j’avais de la chance d’avoir le sang mêlé. Regarde les chiens pures races, me disait-elle. Ce sont eux qui meurent en premier. Les bâtards, comme toi, continuent de rôder… depuis, je prends fierté à mon exquise bâtardise. » Sa lignée matriarcale lui vient de sa maman (la cousine du Jean Demers sur Facebook) et elle l’a même transmise à son fils. Elle a été élevée comme les autres enfants Demers de Québec et n’a pas exploré sa lignée haïtienne avant la vingtaine. Elle en explore maintenant toute la richesse avec cette création Cabaret noir.
Elle a fait des études à Montréal pour ensuite entrer dans le monde de la danse. Artiste transdisciplinaire, elle fonde en 2007 sa propre compagnie. « Chorégraphe et directrice artistique de MAYDAY, Mélanie Demers fait de la scène une tribune où questionner le rôle de l’artiste et du théâtre, un espace où réfléchir collectivement au sort du monde et des individus. Sans adopter de ton accusateur ni céder à un défaitisme stérile, elle tire la sonnette d’alarme en mettant en lumière les zones d’ombre de la condition humaine. Résolument engagées, ses œuvres sont à la fois des appels au secours et une invitation à la transformation. C’est pour cela qu’elle a nommé sa compagnie MAYDAY : elle entend dans ce cri l’espoir autant que la détresse. » (Visitez son site web pour plus de renseignements : https://maydaydanse.ca/). Elle connait un grand succès. Sur notre page Facebook, on a déjà salué son Grand Prix lors des 11es Prix de la danse de Montréal (PDM) en 2022, qui saluait « la marque unique que cette artiste métisse laisse sur son époque ». Le prix récompensait entre autres La goddam voie lactée, « une création déclinée en 12 tableaux dans lesquels Mélanie Demers jette un regard féminin qui se veut acéré sur notre époque, du mouvement #MoiAussi à l’exacerbation des tensions raciales aux États-Unis et ailleurs. »
Elle répond ensuite à l’invitation du Théâtre Prospéro de créer un spectacle pour mettre le spotlight sur la « noircité ». S’inspirant des livres de sa bibliothèque qui ont rapport au sujet, elle s’entoure de collaborateurs noirs d’origines et de métiers variés. Pour la forme, elle s’inspire du fameux Cabaret Neiges Noires (Montréal, 1992 : Un énorme fuck you en forme de party selon Catherine Pogonat dans https://revuejeu.org/2017/12/06/cabaret-neiges-noires/) et des fameux « bal nègres » du Paris des années 1920 et 30 (cabaret antillais des “Années folles” qui symbolisait la fascination de la bourgeoise parisienne de l’époque pour “l’exotisme” de la culture noireé Mais selon les historiens (https://www.nofi.media/2017/02/le-bal-negre-symbole-du-paris-noir-des-annees-20s/35647), ces relations interraciales festives ne dépassaient pas les murs des boîtes de nuit parisiennes.
Ce spectacle récent Cabaret Noir tente « d’articuler cette chose, cette douleur, cette injustice, cette histoire répétée », en nous présentant des tableaux de style cabaret sur l’impact qu’ont eu sur les interprètes des moments ou textes clés de l’histoire des Noirs: Martin Luther King, Mohamed Ali, Judas dans Jesus Christ Superstar, une scène gênante de la fameuse série Lance et compte, Othello de Shakespeare, Josephine Baker, etc. J’ai bien apprécié la chanson Strange Fruit en ouverture, le tableau de Mohamed Ali, la chanson tiré de la Bible :je suis belle, mais je suis noire », et le dialogue d’Othello repris en rap. Comme un ensemble de jazz, la chronologie des scènes est improvisée chaque soir, ce qui renouvelle le jeu et exige une présence attentive des comédiens. C’est très émouvant pour un spectateur blanc, même si dans ses mots : « On déverse notre fiel, certes. Mais on vous le redonne en petits pots de miel. » En effet, les interprètes nous font vivre ces moments sombres avec une certaine joie, sans moraliser. Comme le dit si bien La Presse Mélanie « a encore beaucoup de choses à dire, et le fait, encore une fois, avec pertinence et intelligence, évitant les écueils et les sentiers battus » (https://www.lapresse.ca/arts/spectacles/2022-04-14/critique/cabaret-noir-etre-noir.php). Le spectacle est ensuite allé à Toronto au Canadian Stage, et une critique a commenté: « S’inspirant des références littéraires et de la culture pop, CABARET NOIR interroge les façons dont la « noircîté » est incarnée et est autant une célébration qu’une critique des limites du concept. »
La première incursion de Mélanie au théâtre comme metteur en scène et son habile intégration de musique, danse et théâtre sont une belle réussite dont tous les Demers peuvent être très fiers. Espérons que l’invitation du CNA ne sera pas limitée au mois de l’histoire des noirs et profitons de cette occasion pour saluera présence des noirs dans notre famille. Elle reviendra à Ottawa en mars avec son spectacle Confession publique et nous en reparlerons à cette date.